Pour bon nombre d’entre nous, prendre son temps, voire pire (Ciel !), s’arrêter et ne rien faire, est tout bonnement une perte de temps. Ni plus ni moins. Le temps qui n’est pas « utile », le temps qui n’a pas un but, qui n’est pas porteur d’une intention, équivaudrait donc à du temps perdu, gaspillé, gâché, jeté par les fenêtres. Une hérésie pour nous qui, pourtant, manquons de temps dans toutes les sphères de notre vie !
Comment, si nous en sommes persuadés, ne pas, en effet, culpabiliser ?
Comment profiter de ce temps pour soi que nous avons enfin pu dégager dans nos emplois du temps surchargés (non sans mal) sans avoir l’impression de lèser quelqu’un ou quelque chose ?
Comme je le dis souvent, ce qui est difficile, ce n’est pas tant d’arriver à prendre un peu de temps pour soi, c’est surtout d’arriver à prendre du temps pour soi sans culpabiliser… Et sans aller jusqu’au temps pour soi, il est manifestement difficile après une dure journée de labeur de s’autoriser à se poser une trentaine de minutes le soir en rentrant chez soi, histoire de décompresser !
« Quoi ! Une demi-heure ? Vous n’y pensez pas ! Avec tout ce que j’ai à faire ? »
Que dire de nos vies professionnelles dominées plus que jamais par l’urgence et la pression du temps à toutes les strates de l’entreprise ? J’en ai fait aujourd’hui l’un de mes combats (à mon échelle, bien sûr), persuadée que nous ne pourrons plus continuer sur le même schéma encore très longtemps. Preuve en est le nombre croissant d’épuisements professionnels et de reconversions qui sont autant de réflexes de survie dans un monde qui privilégie vitesse, immédiateté et urgence au détriment de la réflexion.
Une part de mon travail aujourd’hui consiste à faire comprendre aux personnes que j’accompagne que prendre son temps, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie personnelle et familiale, est tout sauf une perte de temps.
Bien au contraire.
Pour vous en convaincre, voici, s’il en fallait quelques-unes, 4 bonnes raisons de prendre son temps :
1) Prendre son temps permet de récupérer et de recharger les batteries.
Evident ? Et pourtant, happés dans le tourbillon de nos vies, nous avons souvent tendance à l’oublier.
Parce que nous ne sommes pas ni des machines ni des robots, nous avons besoin de récupérer et de recharger les batteries. Et c’est précisément ce que nous nous permettons quand nous nous autorisons à prendre notre temps, voire à ne rien faire du tout.
Nous sommes fatigués quand nous avons vidé, « épuisé » littéralement toutes nos réserves d’énergie. Il s’agit alors prioritairement de recharger les batteries pour récupérer, « faire le plein » d’énergie : se reposer dès que l’occasion se présente, aller se coucher plus tôt, dormir, s’accorder de vraies siestes le week-end, se lever un peu plus tard, etc… Bref, privilégier autant que possible le repos et la détente.
Nicolas Rouig, diététicien-nutritionniste, consultant en santé au travail et auteur du livre Je me libère du stress (2012, Psycho-Guides Puf), nous donne sa propre définition de la fatigue:
« La fatigue est un ressenti généralisé de vide énergétique pénalisant toute activité ou tout fonctionnement correct de notre organisme » et évoque, pour illustrer ces propos, l’image de la voiture :
« Lorsqu’il n’y a plus de carburant ou lorsqu’un pneu est crevé, elle n’avance plus. Il devient obligatoire de faire le plein et de réparer. » Ou encore celle de la batterie :
« Si elle est simplement déchargée, elle ne marche plus du tout. Seule possibilité : la recharger et attendre qu’elle soit pleine ».
Le problème vient justement du fait que la plupart des personnes, sauf celles qui ont appris à gérer leur énergie (mais parfois à quel prix), vont s’activer, tirer sur la corde et fonctionner en surrégime pendant des semaines, des mois, des années… jusqu’à l’épuisement, presque inévitable. Alors même que notre organisme tout entier a besoin d’alterner périodes d’activité et périodes de repos. Ces périodes dites « de repos » ne sont donc pas seulement utiles, elles sont tout simplement indispensables.
Quand vous décidez donc de ne rien faire du tout, vous faites DEJA quelque chose d’ « utile » : vous rechargez les batteries. Et cela mérite déjà toute votre attention.
2) La créativité a besoin de temps
Oui, la créativité, c’est vrai pour les adultes comme pour les enfants, demande du temps.
On ne crée pas sous la pression du temps. On n’écrit pas un billet de blog, ou un chapitre de livre en 5 minutes par exemple. Cela demande du temps, cela demande de laisser reposer, d’y revenir, de se relire, de changer tel mot pour tel autre parce que la phrase est plus fluide et qu’elle sonne mieux à l’oreille…
Marquer une pause, ne rien faire, en apparence, n’excluent pas le temps de maturationnécessaire à tout projet, créatif ou non d’ailleurs. L’ennui, on le sait, chez les enfants comme chez les adultes, est le terreau fertile de l’imagination. Vous ne faites rien mais votre inconscient, lui, continue de « travailler » sur le projet, il classe, ordonne, cherche des solutions pour vous. En mettant votre conscient sur pause, vous laissez immanquablement plus d’espace à l’inconscient pour se déployer.
Ne négligez pas ces temps de maturation nécessaires pour que vos idées, vos projets, même les plus ambitieux, germent et poussent. Imagine-t-on tirer sur la plante ou la fleur pour qu’elle pousse plus vite ? Non bien sûr. Les graines que vous avez plantées dans votre esprit créatif ont également besoin de temps pour grandir et s’épanouir…
Preuve en est, cette vidéo de l’agence Kreativ dont je ne me lasse pas et qui me donne la chair de poule chaque fois que je la visionne.
3) Prendre le temps de planifier et d’anticiper permet de gagner du temps
Il faut en effet accepter de « perdre » un peu de temps chaque jour pour en gagner. Prendre le temps de planifier et d’organiser son travail, au regard de ses priorités du jour/de la semaine/du mois/de l’année permet invariablement et contre toute attente de gagner du temps…
Une récente étude a révélé qu’en consacrant huit malheureuses minutes par jour à planifier, nous pouvions gagner une heure dans la journée.
L’idée à retenir, pour faire simple, c’est que plus on a de choses à faire, plus il faut prendre de temps pour planifier !
Pourtant, nous avons tous cette tendance naturelle à faire exactement l’inverse, saisi par la panique de ne pas parvenir à « tout » faire. Une panique qui finit par nous paralyser et nous ôter toute lucidité pour avancer et accomplir nos priorités du jour.
4) Prendre le temps de bien faire quelque chose procure de la satisfaction.
Qui n’apprécie pas la satisfaction, le plaisir même du travail bien fait ? Qu’il s’agisse du rapport qui nous a été demandé et pour lequel on vous a laissé un temps suffisant pour le rédiger, ou du plat que vous avez entrepris de cuisiner ce week-end pour votre famille ou vos amis, avec amour et sans la pression des repas du soir.
Le plaisir de se consacrer à une tâche, quelqu’elle soit, tant pour le plaisir de s’y consacrer que pour l’anticipation du résultat attendu, ne peut s’épanouir que si vous disposez d’un temps suffisant pour cela. Quel plaisir en retirer si vous devez bâcler l’histoire « à l’arrache » ?
Au contraire, en vous consacrant pleinement, en conscience, à votre activité, vous êtes susceptible d’entrer dans le flow, littéralement le flux en anglais, concept élaboré par le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi et qui décrit l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement immergée dans ce qu’elle fait, dans un état maximal de concentration. Cette personne éprouve alors un sentiment d’engagement total et de réussite. C’est précisément ce qui vous arrive lorsque, si concentré et engagé dans une activité, vous finissez justement par perdre la notion du temps…
Si avec ça, vous continuez à culpabiliser si vous vous accordez 5 minutes de pause, passez me voir !
Et pour celles et ceux que le sujet intéresse, je vous suggère l’essai du philosophe Pierre Casson-Noguès, (2013, Flammarion) : La mélodie du Tic-Tac et autres bonnes raisons de perdre son temps, dont voici le résumé :
« La vie ordinaire efface le temps perdu : il faut travailler pour vivre, et pour que l’ordre social se maintienne. Perdre son temps devient alors une forme de sabotage. Raison pour laquelle nous ne parlons pas de ce temps que nous perdons ; raison pour laquelle aussi le langage ordinaire se prête mal à décrire le temps perdu.
On risque donc ici un éloge de l’inactivité. En faisant redécouvrir plusieurs façons de perdre son temps : la mélancolie, le divertissement, la panne, la procrastination, la flânerie, l’ennui, la rêverie, la cigarette… Mais en constatant également que toutes ces expériences ne sont pas celles de ce temps «volé», «dérobé», «tué» que définit plus précisément le verbe traîner.
Ceux qui traînent : les passants dans un cimetière, certains personnages d’Aragon ou de Queneau, M. Hulot détraquant l’ordre des vacances, les passagers d’un RER stoppé par la neige, l’internaute soudain débranché. Ces moments étranges – où Pascal, lui, pariait sur Dieu… – sont autant d’expériences de pensée. Car philosophe est celui qui ne craint pas de rater son train ».
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